L’Amazighité et la JSK
Du référent identitaire au risque de compromission fatale
La
qualification historique de l’équipe nationale au Mondial-2010, par ses
plongements politiques et l’adhésion sociétale, n’en finit point de
soulever d’épiques controverses. La question des revendications
identitaires au travers la tribune du foot devient, de facto, plus
lancinante.Dans le sillage de l’euphorie
débordante, le débat sur l’Algérianité, perverti, biaisé, jeté aux
orties des interdits- des décennies durant- ressurgit. Le panarabisme
vole en éclats, vingt ans après que Kateb Yacine, porteur de rêves
amazighs, amant et guerrier de la liberté pour l’Algérie et tous les
hommes, eut décrié l’impossible nation arabe. C’est aussi du coup
ébaucher une libération idéologique du joug baathiste et recenser toutes
les infidélités aux idées inassouvies de Abane Ramdane. Abane, père de
l’Indépendance, dont la lâche liquidation hante toujours la conscience
nationale. Cinquante-deux ans, jour pour jour, après l’étranglement de
l’intelligence à Tétouane; et l’écrasement de l’embryon d’Etat
démocratique soummamien. L’homme des ruptures fondatrices et de l’unité
révolutionnaire avait prédit l’implacable anathème égyptien : “La
Révolution algérienne n’est inféodée ni au Caire ni à Londres ni à
Moscou encore moins à Washington”. Comme s’il était encore tôt de se
rappeler de l’insoupçonnable réalité de ses prémonitions… Dans la quête
effrénée de l’identité de la patrie éternelle, le sigle JSK, glorifié au
rang de mythe, fascine par ses repères mémoriels. Qui permettent de se
mesurer. De se définir. Un miroir d’un combat sain qui se fissure. Qui
plus est, après le débarquement d’Echourouk, sponsor inédit aux relents
islamistes, la JSK se choisit un virage glissant. Connexion
compromettante. Funeste prédiction ?
Autopsie d’une légende qui se cherche Malaise identitaireLa
Kabylie. Résumer ce référent - sans coup férir- à un étranger, dire
l’Algérie, pays des paradoxes insolubles, des illusions malmenées ?
Possible, ou presque : la JSK. Et Matoub pour l’insurrection poétique et
la désobéissance au diktat des dogmes ; la musique du Terroir traversés
par des mélodies au parfum tonique sonnant le tocsin de "la" sonorité
universelle, parsemés d’odes en l’honneur à la terre qui ne cesse de
signer. De se chercher- dans le fracas de l’arbitraire. Comme de bien
entendu, en plus, l’insoumission au fanatisme des barbes et
l’embrigadement religieux. Ceci se passe dans un pays en lutte contre
ses propres démons. Précisément, dans une région qui croise un destin
violent. Mais qui ne l’étouffe toujours pas. Où les hommes doivent
mettre l’audace à y vivre. Il va sans rappeler qu’ici, il y a peu, il
est plus garanti de mourir que d’y respirer. Comme partout, le football
stimulent les résonances citoyennes : un terrain d’échauffement
planétaire des identités collectives. La JSK a la particularité d’avoir
une histoire qui ressemble à la contrée éreintée, depuis toujours, dont
elle porte le nom : région rebelle, récalcitrante. Epineuse. Pionnière :
elle crie la détermination avangardiste, en étant l’exemple. Et la soif
de “Lumières souveraines”. Ses murs pansés de graffitis, ses
territoires réfractaires, couverts de sang, révulsés, portent encore les
traces de blessures identitaires. De ses révoltes sans fin ; des
sentences qu’on lui afflige. Sans jugement. Les joutes, où plutôt les
combats de stade étaient surtout des buts à inscrire au crédit de
l’autre “combat”. Des prouesses sportives pour crier, en chœur, la rage
existentielle des damnés. Surtout : faire entendre le râle des opprimés,
les hurlements des suppliciés de la clandestinité, l’asservissement du
peuple, la vanité des potentats et le dénuement des êtres humains. Un
défouloir. Transbahuter la parole de liberté, l’omniscience dans les
recoins de l’Afrique ; de l’Arabie- comble de l’antinomie. Et, suprême
mérite, noircir les colonnes éditoriales du nom JSK : jeunesse, sursaut
de la Kabylie. Ce fut la JSK originelle. Orgueil de la ville des Genêts :
celle des "couleurs". Des Genêts, justement : du vert et jaune. Du
Djurdjura qui la surplombe. Epine dorsale du football algérien, flambeau
incandescent de la dignité millénaire. Pour les joueurs du siècle
écoulé, la berbérité est leur trame de fond, génératrice d’énergies
triomphantes. Leur source de jouvence. La JSK respire de la poitrine des
damnés. En filigrane, s’y est tissé l’enchantement de faire vibrer, à
l’unisson, tout un peuple. L’Afrique du Nord, par moments. Il n’y a
certainement rien de plus noble que de faire danser des peuples qui
souffrent.
"L’obligation de vaincre"Voir le
vouloir à l’œuvre. Concurrencer la fuite du temps, rattraper le retard
que le pouvoir met à "valider" l’amazighité, en entier. Une fois pour
toute. Subrepticement, une complicité s’est comme tissée entre les
joueurs et les supporters de la JSK , qui plus est "chauvins", sans
excès. Nuance : la synergie confine à la tendresse. La Kabylie s’emploie
à ciseler quelques moments à la fois historiques et savoureux.
Par-dessus tout, "la JSK est pour Tamazight ce que fut l’ALN pour le FLN
libérateur[1]". De vaillants soldats du stade. "Des guerriers numides",
dont “le nif” et la gagne sont leurs nourriciers. Des hommes, des
“cadres”, qui nous apportent la renaissance. Ce sont les “maquisards”,
pour reprendre le vocable Katébien, de la dynamique démocratique en
devenir. A leur manière. Depuis lors, des ponts s’y sont bâtis entre la
chanson, la culture, le sport, l’histoire et l’espérance. D’où
l’émotivité de regards authentiques, désintéressés, clandestins qui se
croisent entre deux destins en ardente action : Kabylie berbère qui
s’affirme, Afrique du Nord "berbère" qui y adhère. Grâce à la JSK, les
Kabyles parlent aux Chaouis, les Chleuhs… au reste de l’Algérie. Et au
monde. A la manière d’un soulèvement souterrain, toutes les
manifestations "footballistiques" de Tizi-Ouzou ont été un puissant
détonateur qui a éveillé l’attention, autant la sympathie d’un public
inattendu. La JSK force le respect. Elle subjugue ! Il en reste pas
moins que la soif est si insupportable qu’un tel “acquis”, le sigle JSK -
à lui seul- ne saurait y suffire. La soif est grande. La foi aussi.
Irascible
et fédérative, l’amazighité se cristallise en amont de l’immanent
combat démocratique en gestation. "Car, au fond, de nos jours, la vraie
politique, c’est encore la culture, et d’abord la langue, véhicule de
l’histoire…[2]". S’y greffe le sport, le foot : transmetteur de valeurs
universelles. Reflet d’adhésions sociétales. Et pour preuve : quant les
“forces du désordre” déchargeaient, hégémoniques, leur folie meurtrière
dans le dos du peuple, en 2001, la JSK savait observer le deuil :
brassard noir- étendard des émeutiers. Et se mettre en vacances dans des
compétitions immanquables.
L’arène de l’expression démocratico- identitaireLe
pouvoir d’alors n’a surtout pas l’esprit à voir une JSK rutilante. Qui
brille aux podiums du monde. Elle aura, de facto, " sa part " des coups
de boutoirs policiers. La stigmatisation de la Kabylie par les
officiels de la politique " œsophagique " confine au réflexe mécanique.
Tous les régimes successifs ont mis de l’obstination à la blesser. La
provoquer. Démesurément. Porteuse d’une revendication identitaire
démocratique, pacifique, la Kabylie devient l’"ennemi intime" de ses
adversaires, s’agrippant à des dogmes illusoires : les sacro-saints
principes panarabistes. Partant, le particularisme kabyle ne cesse de
s’exacerber. Depuis la " crise berbériste " de 1949, jusqu’à la grève du
cartable 1994-1995, en passant par le soulèvement du FFS en 1963 et le
Printemps 1980. La Kabylie " prend ses distances " avec le reste de
l’Algérie. Requiem pour un mythe. L’Académie berbère, vivier de
bataillons de soldats démocrates, jouera un rôle déterminant dans la
problématisation de la berbérité. Dans toutes ses démentions. Bravant
l’interdit, elle dépoussière la culture cognée. Elle en sculpte la
symbolique (signes, alphabets tifinagh) ; l’association a
incontestablement préparé le terreau au printemps berbère. Dont la
ferveur motrice des supporters de la JSK mobilisera des viviers de voix
souveraines. La conscience millénaire se réapproprie. Jusqu’à 1980,
néanmoins, la revendication berbériste en Afrique du Nord reste dissipée
: "souterraine, groupusculaire et épisodique". Interdite, traquée par
l’Algérie officielle, le souffle amazigh échappera, au forceps, à
l’étouffement. Au moyen de champs d’expression inédits, deux phénomènes
populaires où se répand la parole libre : la chanson et le foot. A
partir des années 1970, l’explosion de la nouvelle chanson kabyle,
radicale, engagée et moderniste accompagnera l’éveil de la conscience
berbère[3]. La fougue populaire sera entourée de chanteurs comme Matoub,
Ferhat Imazihghen, Ait Menguellet, Farid Ferragui, Djamal Allam, … n’a
d’égal que les "mutineries" populaires dans les stades. Lorsque joue la
JSK. Naturellement, la répression et les vexations au quotidien y sont
vécues comme l’humiliation de trop. D’où une rancœur noire. Qui crèvera à
la face du monde. A ciel ouvert. Eté chaud, déclic salvateur en ce 19
juin 1977…Finale de la Coupe d’Algérie, à Alger. La JSK rafle la mise :
le " doublé " (championnat et coupe d’Algérie). Et la sentence ne se
fera pas attendre ; immédiate. Par le mépris. Irrationnel ! Le pouvoir
décide de transformer la JSK en JET (Jeunesse… électronique de
Tizi-Ouzou). OPA dans les symboles par la confiscation du ‘K’ qui fâche.
JSK, JET, une Tautologie ? Certainement pas. Absurde ! Quand bien même
la réforme touchera les autres clubs qui deviendront MPA, MPO... Secret
de polichinelle : l’appellation nouvelle, la farce, a été décidée afin
de supprimer les initiales JSK que les foules scandent vaille que
vaille- la parole étant libre- : "Je suis Kabyle". Pis, plus
révolutionnaire : "Jugurtha existe toujours".[4] Une première. Lors de
ce match, les spectateurs brandissent des banderoles écrites en
berbères, conspuent Boumediène, doublant l’hymne national algérien de
chants patriotiques kabyles. Et scandent des slogans " JS Imazighen "
(Jeunesse sportive berbère), "La langue berbère vivra", "A bas la
dictature !", "Vive la démocratie !", entonnant des noms de maquisards
kabyles de la Guerre de libération nationale. La télé de la propagande
aggrave, en direct, la "correction populaire" en détournant les regards.
Irréversible cassure : l’Algérie sait désormais, le peuple vient de
s’exprimer. De fort belle manière. C’est le face à face. L’ordre établi
vole en éclat. Contestation ouverte, radicale, aux goûts amers. Aux
enjeux majeurs : identité, culture, projet de société. Droit vers la
chute. Un mythe se brise. Le voile se lève. Un homme à l’orgueil
transcendant, est livré à la vindicte populaire. Le football dévoile. Au
risque d’une meute. Ce " coup de maître " achève l’unanimisme de
façade. La protestation, elle, ne s’essoufflera guère. Elle sévit. N’en
déplaise aux falsificateurs, “JS Kawkabi”, puis “Jeunesse électronique
de Tizi-Ouzou” ne font que renforcer, au contraire, la quête irascible
de la mémoire souillée. Les cœurs se galvanisent. Les esprits, aussi. "
JS Kabylie " restera nonobstant l’offensive : nom de naissance. Quoi que
fassent les brigands. Dans tous les stades la clameur est unanime :
JSK. En dépit des lois scélérates… D’un mot sur l’ère Chadli.
Moh Arezki K.